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Betsy Jolas | L’Ascension du Mont Ventoux
Depuis plusieurs saisons, l’ensemble instrumental nantais Utopik joue et fait découvrir la musique de notre temps. Furent imaginées des rencontres, sous forme d’une résidence d’une semaine à Nantes durant laquelle le compositeur invité intervient au Conservatoire de Région, dans les écoles, à l’Université, etc. Les précieux complices de cette initiative sont, entre autres, l’École de Musique des Renaudières, le Studio-Théâtre, l’Université Permanente, l’École Régionale des Beaux-arts, l’École Centrale de Nantes, le département de philosophie de l’Université de Nantes et, bien sûr, le Théâtre Graslin (ANO). Par saison, trois semaines sont mises en place : en 2007/2008, les heureux élus furent Thierry Pécou, Florentine Mulsant et Philippe Hersant ; cette année : Michaël Levinas, Alexandros Markeas et, actuellement, Betsy Jolas dont ce concert donné sur la scène de Graslin achève la résidence.
Pour les acteurs d’Utopik, l’énergie, un inépuisable enthousiasme à travailler, une grande ouverture d’esprit et la volonté de partager caractérisent la personnalité de Betsy Jolas. Et c’est ce qui transparaît dans cette soirée. Nous retrouvons d’abord la Sonate pour violon et violoncelle de Maurice Ravel, sous les archets sensibles de Marie-Violaine Cadoret et de François Girard. L’intimité de cette page introduit idéalement à la nudité de Tranche, une œuvre pour harpe solo que Betsy Jolas signait en 1967. De fait, les préoccupations esthétiques des années soixante s’y affirment clairement. Les doigts de Nathalie Henriet en livrentune interprétation soignée, avançant vers la progressive désertification où s’abîme cet opus.
Quelques trente-cinq ans plus tard, concrétisant une promesse secrète largement antérieure, Jolas écrit le motet Ventosum Vocant, chantant en latin la fameuse lettre de Pétrarque, L’Ascension du Mont Ventoux (1353). Soucieuse de rendre l’œuvre plus abordable, la compositrice décide après la première (juillet 2002) de donner à l’œuvre une dimension scénique et de faire dire le texte en traduction française durant des interludes musicaux conçus spécialement. Du motet cette pièce a donc évolué vers une forme hybride entre la cantate dramatique et le madrigal représenté, s’inscrivant alors encore un peu plus en connivence avec la musique de l’époque de Pétrarque. « La Renaissance italienne fait partie de mes découvertes d’adolescence, confie la musicienne. Je chantais alors dans une chorale où nous abordions les grands maîtres de cette période ».
Alternent les interludes où la lettre est lue (en français) par Betsy Jolas elle-même, d’une voix qui jamais ne ferme la phrase et porte ainsi toujours plus loin l’imaginaire, et les sections chantées (en latin) par le soprano Virginie Pochon – une artiste qui rencontra la musique de Jolas en 1995 à l’Opéra national de Lyon à travers le rôle de Sofia de l’opéra Schliemann. Des instruments bientôt naîtra tout un climat de vents, de frottements sableux et de cris d’oiseaux, autant de figuralismes qui répondent étroitement au nom même du lieu évoqué, Ventoux (que de combinaisons possibles !), pour aussitôt grandir au delà de l’anecdote, comme les deux marcheurs s’élèvent vers cette « vie que nous appelons heureuse (qui) occupe les hauteurs ».
Le traitement du chant se fait tour à tour recitativo ou franchement lyrique, selon les pensées que la minute de cette ascension fait surgir sous l’illustre plume toscane. Le jeune vidéaste Jacques Lœuille a réalisé une création puisant à la source même, soit la grandeur du massif enneigé, projetée en surplomb des musiciens convoqués par L’Ascension du Mont Ventoux – Pierre Gallier aux clarinettes (en si bémol, basse et contrebasse), Gilles de Talhouët aux flûtes (en sol, en ut et piccolo), ainsi que les trois instrumentistes cités plus haut, tous placés sous la direction de Michel Bourcier.
De cette Ascension… l’écoute sort grandie et heureuse.
BB